Radovan Ivšić – Forêt insoumise
« La feuille de l’eau sur le rêve de l’herbe «
À la fin du XVIIIe siècle, Chateaubriand constatait : « Les forêts précèdent les hommes, les déserts les suivent ». Ce qui pouvait alors passer pour une vue pessimiste sur l’histoire occidentale est devenue réalité qui vaut désormais pour la planète entière.
De son côté, évoquant en 1943 la folie meurtrière du pouvoir, Radovan Ivsic imaginait un personnage, le Roi Gordogane, qui, après avoir tué tout le monde, allait dans la forêt pour anéantir, arbre après arbre, ce qui vivait encore.
Vision prémonitoire de ce à quoi nous assistons aujourd’hui. D’emblée, Radovan Ivsic a, en effet, su que tout se jouait et allait se jouer dans et autour de la forêt, là où la forêt mentale vient interroger une vie insoumise, là où la forêt des symboles cherche à réinvestir la flore et la faune, là où il s’agit moins de retrouver une forêt mythique que de faire vivre en nous et au dehors de nous une forêt devenue le théâtre du monde, en ce que tous les enjeux existentiels – politiques, érotiques, poétiques… – s’y rejoignent.
Il revient à Radovan Ivsic de nous avoir fait voir les splendeurs contradictoires de cette forêt à réinventer, tout en incitant chacun à y chercher de quoi combattre l’univers unidimensionnel censé être le nôtre, depuis près d’un siècle que technique et idéologie conjuguent leur puissance de domestication.
Aventure sensible aux implications innombrables mais qu’une exposition pourrait évoquer, telle une quête qui, paradoxalement, aura découvert sa singularité à travers la diversité des êtres rencontrés et des paysages traversés comme à travers la multiplicité des chemins empruntés pour « repassionner la vie ». À partir de la poésie et du théâtre, bien sûr, mais ce sont aussi les images et les choses, les sons et les voix, le livre et la photographie comme les pierres ou d’autres productions naturelles, qui auront contribué à la richesse de ce parcours. Ainsi serait-il possible d’y voir se côtoyer, par exemple, des forêts imaginaires de Max Ernst ou d’André Masson avec des objets populaires de Croatie comme avec le Saint-Georges de Altdorfer, faisant écho à certaines stèles Bogomiles photographiées par Toso Dabac, sans parler des masques de Turcisce qui, pour Radovan Ivsic, n’étaient pas si lointains de certains masques africains…
Le Musée d’Art Contemporain de Zagreb, offrant de nombreuses possibilités multimédias, conviendrait particulièrement à une telle exposition, dont le principe serait de continuellement mettre en relation, d’un domaine à l’autre, modernité et immémorial
Annie Le Brun